Le paléontologue québécois François Therrien, Ph. D. nous révèle des secrets!
Méga Éditions : Docteur Therrien, travailler avec vous à l’élaboration de ce livre a été une expérience passionnante et enrichissante. Nous avons tant appris! Vous êtes si précis! Vous avez fait preuve d’une telle générosité dans le partage de vos connaissances que cela a été pour nous un réel honneur. Et maintenant, la question piège : pourquoi avez-vous accepté de collaborer à ce nouveau titre de la collection Mon Mégadoc, Les dinosaures?
François Therrien : Je suis un grand passionné des dinosaures et j’adore partager avec les gens non seulement nos connaissances de ces animaux disparus, mais également ce que ces animaux peuvent nous apprendre à propos de l’histoire de la vie sur Terre et de l’impact des changements climatiques sur l’évolution des êtres vivants. Je crois que bien des gens, surtout les jeunes, sont intéressés par les dinosaures, mais il y a malheureusement peu de livres qui présentent les toutes dernières percées et découvertes scientifiques sur le sujet, surtout sur le marché québécois. Alors quand j’ai été invité à collaborer pour le livre Les dinosaures, j’ai immédiatement accepté.
ME : Que vouliez-vous faire dans la vie lorsque vous étiez tout petit, disons, à l’âge de 4 ans?
FT : C’est à l’âge de 4 ans, alors que je lisais mes premiers livres sur les dinosaures que mes parents m’avaient achetés, que j’ai eu la « piqûre » pour les dinosaures. Je savais dès ce moment que je voulais devenir un paléontologue, et je crois que j’ai été trop têtu pour changer d’idée.
ME : Quel est votre souvenir du premier nom scientifique de dinosaure que vous avez su prononcer? Quel âge aviez-vous?
FT : Je ne me rappelle pas exactement quel a été le premier nom scientifique de dinosaures que j’ai pu prononcer, mais il s’agissait sans doute soit du Triceratops, du Tyrannosaurus rex ou bien du Stegosaurus. Tous ces animaux étaient dans mes premiers livres sur les dinosaures. Quand j’étais petit, le Triceratops, avec ses longues cornes, était mon dinosaure préféré.
ME : Tout petit, lisiez-vous? Quel était le premier livre que vous avez lu? Et son titre? Pourquoi ce livre vous a-t-il plu?
FT : Oui, j’aimais beaucoup lire quand j’étais petit. Je crois que le premier livre que j’ai lu faisait partie de la collection À la Découverte et c’était le numéro sur les dinosaures. Pas trop surprenant, n’est-ce pas?
ME : Y-a-t-il eu un parent, un.e enseignant.e, un.e scientifique, un.e personnalité publique, un livre, un film qui a – ou qui ont – influencé votre choix de carrière?
FT : Bien que je savais que je voulais devenir paléontologue dès l’âge de 4 ans, c’est un évènement inusité, alors que j’étais en première année, qui a solidement ancré ce désir. J’étais sur le point de poser une question à ma professeure avant de sortir pour la récréation lorsque celle-ci m’a dit que j’avais l’air pâle et que je devais peut-être aller passer la récréation à la bibliothèque avec d’autres élèves plutôt que d’aller dehors, question de garder mon énergie pour le reste de la journée. Bien que je me sentais en pleine forme, j’ai écouté ma professeure et suis allé à la bibliothèque plutôt que dehors. C’est pendant la récréation que je suis tombé sur un livre qui m’a réellement émerveillé et fait voir les dinosaures sous un jour nouveau. Le livre était intitulé Les animaux de la Préhistoire publié par Hachette. J’avais été frappé par les images des dinosaures à l’intérieur. Contrairement à mes livres d’enfants où les dinosaures étaient dessinés, les images et peintures dans ce livre étaient tellement réalistes, surtout celles du Tyrannosaurus rex, que je me suis réellement mis à imaginer les dinosaures comme étant des animaux vivants plutôt que seulement des fossiles. Ce livre a ainsi cimenté ma passion pour les dinosaures. Je crois que le choix de bonnes illustrations joue un rôle immense pour communiquer non seulement de l’information mais aussi la passion aux lecteurs.
Photo : www.leslibraires.fr
PS : Petite anecdote, j’ai essayé de retourner à la bibliothèque le lendemain lors de la récréation pour regarder à nouveau le livre, prétendant que j’étais malade, mais ma professeure ne m’a pas cru et m’a envoyé jouer dehors.
ME : Quand avez-vous découvert votre vocation scientifique?
FT : Tout au long du primaire, chaque travail de recherche ou présentation orale au sujet libre que je faisais, était à propos d’un dinosaure. En fin de troisième année, la professeure avait écrit une petite note pour tous ses étudiants. Sur la mienne, elle avait écrit qu’elle avait beaucoup aimé mes présentations sur les dinosaures et que j’étais « un homme de science ». J’imagine que ma vocation scientifique était déjà établie à ce moment.
ME : Comment devient-on paléontologue?
FT : Pour devenir paléontologue, ça prend beaucoup de curiosité, de persévérance, et surtout de passion. Il faut aimer les sciences et les mathématiques et prendre tous ces cours au secondaire. La paléontologie étant située à la rencontre de la biologie (étude de la vie) et de la géologie (étude de la Terre), il faut poursuivre des études approfondies dans ces domaines au cégep et à l’université afin d’acquérir les connaissances requises et de conduire des projets de recherche. Ça prend entre 10 et 12 années d’études post-secondaires afin de pouvoir se chercher un emploi dans le domaine de la paléontologie.
ME : Lorsque vous avez débuté vos études, avez-vous pensé qu’un jour, vous travailleriez en tant que chercheur au Musée royal Tyrrell de l’Alberta? C’est quand même l’un des musées de paléontologie les plus importants au monde!
FT : Travailler au Musée royal Tyrrell était un rêve parce que l’Alberta est l’un des meilleurs endroits au monde où on peut découvrir des dinosaures, mais je ne pensais pas que j’y travaillerais un jour. Les postes de paléontologues sont très rares et le Musée avait déjà une équipe complète de paléontologues, donc il n’y avait pas de poste disponible. Néanmoins, après avoir terminé mon doctorat, je suis venu travailler avec des chercheurs du Musée en tant que postdoctorant (l’équivalent d’un stage dans le domaine industriel et des affaires), dans le but d’établir des contacts et des collaborations avec des chercheurs canadiens avant de me trouver un poste ailleurs, probablement dans une université. Et je me suis retrouvé au bon endroit au bon moment : un poste s’est ouvert au Musée et mon champ de recherche complémentait celui des chercheurs déjà présents. Preuve que parfois le hasard peut ouvrir la porte à des options inattendues.
ME : Lorsque l’on découvre, que l’on étudie et que l’on nomme une nouvelle espèce d’animal disparu, quel sentiment cela procure-t-il?
FT : Le sentiment que l’on ressent lorsqu’on découvre les os d’un animal disparu est extraordinaire! De réaliser qu’on est le premier être humain (ou être vivant même) à voir ces os depuis que l’animal est mort il y a des dizaines ou même des centaines de millions d’années, c’est incroyable. Avec l’étude des fossiles, on essaie d’en apprendre plus sur l’apparence, le mode de vie et l’évolution de ces animaux. C’est un peu comme un travail de détective, mais la victime est morte depuis des millions d’années.
ME : Comment savez-vous où chercher? Avez-vous vraiment besoin de pelles, de pioches et de pinceaux?
FT : Bien des gens croient que les paléontologues creusent des trous au hasard dans le sol pour y trouver des fossiles. Or ce n’est pas le cas. Les paléontologues choisissent tout d’abord une région à partir du type et de l’âge des roches présentes, car ce ne sont pas toutes les roches qui ont le même potentiel de préservation des fossiles. Une fois leur sélection faite, les paléontologues partent en randonnée, visitant chaque affleurement rocheux en espérant y apercevoir des fossiles qui apparaîtraient à la surface. Une fois qu’ils ont découvert un fossile qui a l’air intéressant, c’est à ce moment qu’ils utilisent pioches et pelles pour enlever la roche qui recouvre le fossile. Lorsqu’il ne reste qu’environ 30 centimètres de roche couvrant le fossile, c’est à ce moment qu’ils abandonnent les gros outils et se mettent à utiliser les petits pics et pinceaux pour procéder plus délicatement et déterminer s’il y a plus de fossiles présents. C’est réellement un travail délicat et de patience.
ME : Quels sont les animaux que vous avez découverts, étudiés et nommés?
FT : La plupart du temps, le but du paléontologue n’est pas de nommer ou de découvrir de nouvelles espèces, mais plutôt d’en apprendre davantage sur le mode de vie et l’évolution d’espèces déjà connues. Personnellement, j’étudie les comportements et modes de chasse des dinosaures carnivores, particulièrement des tyrannosaures, ainsi que l’impact que les changements climatiques et environnementaux ont eu sur les dinosaures. J’ai malgré tout eu la chance de participer à la description de quelques nouvelles espèces d’animaux disparus, tel un ptérosaure (le Cryodrakon), une tortue (Arundelemys), le plus ancien tyrannosaure du Canada (le Thanathotheristes), ainsi que quelques espèces d’œufs de dinosaures. J’ai également découvert le premier dinosaure à plumes d’Amérique du Nord, un spécimen du dinosaure-autruche Ornithomimus. On ne sait jamais quelle opportunité va se présenter à nous.
ME : Quels sont les planches que vous préférez dans ce livre et pourquoi ?
FT : Mes planches préférées sont probablement celles du Giganotosaurus et du Stegosaurus. Les illustrations sont tellement réalistes qu’on croirait qu’il s’agit de photos prises lors d’un safari!
ME : Si vous n’étiez pas devenu scientifique et auteur, qu’auriez-vous fait dans la vie ?
FT : Si je n’étais pas devenu un paléontologue, je crois que je serais devenu soit un professeur ou un communicateur scientifique. J’aime beaucoup discuter avec les gens et partager nos connaissances sur l’histoire de la Terre.
Crédits photos : Musée royal Tyrrell